martes, 29 de marzo de 2011

Douglas Kennedy, L'homme qui voulait vivre sa vie

POCKET - Belfond

Résumé du roman: Un poste important, une vaste maison, une femme élégante, un bébé: pour tout le monde, Ben Bradford a réussi. Pourtant, à ses yeux, rien n'est moins sûr: de son rêve d'enfant -être photographe- il ne reste plus rien. S'ils possèdent les appareils photo les plus perfectionnés, les occasions de s'en servir sont rares. Et le sentiment d'être un imposteur dans sa propre existence est de plus en plus fort... Alors comment résister à l'appel d'une autre vie quand le destin s'en mêle?

Critique de Martine Laval (TÉLÉRAMA):
"Douglas Kennedy bouillonne de talent, sa narration est haletante, sa construction sans faille."

Roman traduit de l'américain par Bernard Cohen - Un grand bravo pour le traducteur!

Douglas Kennedy
est né à New York en 1955, et vit entre Londres, Paris et Berlin. Auteur de trois récits de voyages remarqués, dont Au pays de Dieu (Belfond, 2004; Pocket, 2006), il s'est imposé avec, entre autres, L'homme qui voulait vivre sa vie (Belfond, 1998; Pocket, 1999), en cours d'adaptation cinématographique, et La poursuite du bonheur (Belfond, 2001; Pocket 2009), suivis de: Une relation dangereuse (Belfond, 2003; Pocket, 2005), Les charmes de la vie conjugale (Belfond, 2005; Pocket 2009), La femme du Ve (Belfond, 2007; Pocket 2009) et Quitter le monde (Belfond, 2009; Pocket, 2010). En 2008, les éditions Belfond ont également publié son roman culte Piège nuptial, dans une nouvelle traduction. http://www.douglas-kennedy.com/


Passages qui m'ont marquée:

Pág. 14: en parlant du bébé qui ne laisse pas ses parents dormir
Dans l'intention de le faire taire huit bonnes heures, nous avions tout essayé: le garder éveillé le plus tard possible, le gaver de deux solides biberons pour décourager une fringale nocturne, lui administrer la dose maximale d'aspirine pour bébés prévue par la posologie.

Pág. 18: idem anterior

C'est un vrai terroriste du sommeil, qui ne cédera qu'une fois toutes ses revendications entièrement satisfaites. ... Et en bas, lorsqu'il a découvert le biberon attendant à côté du micro-ondes, les vingt éprouvantes secondes qu'a mis la potion à se réchauffer lui ont arraché des décibels réellement dangereux pour les tympans. ... Alors qu'Adam a été un bébé de gravure de mode, le genre d'adorable bambin qui sourit dans la lumière irisée d'une pub pour couches-culottes, Josh, lui, est une petite brutasse.

Pág. 19: À propos d'Adam, sur sa réaction face aux disputes de ses parents

Dès que Beth et moi avons un accrochage verbal, ou nous gratifions mutuellement d'un chantage au silence, je discerne son angoisse, je vois comment ses grands yeux gris nous supplient de faire la paix.

Pág. 20: à propos de la chaîne CNN

... je me suis immédiatement mis sur McNews, le fast-food de l'information, j'ai nommé CNN.

Pág. 56: les fonctions de Ben Bradford en tant qu'avocat

P&S, Patrimoines et Successions. Une confrérie qui est là pour rappeler au commun des mortels qu'ils le sont, précisément, et qu'ils doivent bien se résigner à ne pouvoir emporter leurs biens dans l'au-delà. Un oeil sur leur inévitable et plus ou moins proche décès, nous les aidons donc à réaliser le butin temporel qu'ils ont accumulé selon un plan mûrement conçu, voire à accroître la valeur de leur succession par le truchement de divers fonds judicieusement concoctés pour "réduire l'impact négatif de la fiscalité (traduisez "pour ne pas se faire assassiner par les impôts"). Nous pouvons, à la demande, trouver à votre capital un abri sûr dans divers paradis fiscaux. Nous pouvons peaufiner des fonds de dévolution assez draconiens pour empêcher le fils prodigue de dilapider l'héritage en deux coups de cuillère à pot. Nous sommes très capables de barrer à ce dernier le moindre accès à la succession en prévoyant toute une série de contingences, clauses testamentaires assez contraignantes pour aller jusqu'à interdire à la mère dudit fils prodigue de subventionner ses dispendieuses habitudes. Enfin, nous nous assurons évidemment que le dernier testament signé de la main du futur défunt soit tellement impeccable, tellement indiscutable que les bénéficiaires n'aient jamais à entendre parler de la fameuse et redoutable réglementation sur les dispositions perpétuelles.

Pág. 58: le salaire et les avantages en nature dont jouit Ben Bradford de par sa position sociale

Personnellement, je ne me plains pas de mon bureau - ..., et encore moins du déluge de billets verts qu'on déverse sur moi: dans les trois cent quinze mille dollars annuels, selon les commissions et les primes, qui font de moi un résidant patenté du paradis des hauts revenus imposables. Sans oublier les fantastiques avantages en nature, les juteux à-côtés du job: couverture médicale pour toute la famille et abonnement au New York Athletic Club payés par la boîte, accès libre à l'appartement de fonction de Battery Park City, prêts à taux zéro pour l'achat de véhicules, service de limousine de nuit gratuit pour toute destination dans un rayon de quatre-vingts kilomètres à partir de notre QG (New Croydon tombe pile poil dedans), compte de société à discrétion dans des restaurants comme Le Lutece, le Four Seasons, le 21...

Pág. 59: plans d'avenir professionnel de Ben Bradford

Ainsi, une fois encore, je me retrouvai à planifier mon avenir dans ma tête: cinq ans dans une grosse boîte, au plus, en me serrant la ceinture et en épargnant comme un malade, puis, à peine la treintaine passée, me lancer dans un secteur plus subversif de la basoche. Basoche: cf. Petit Robert > Ancienmt: communauté des clercs dépendant des cours de justice. Mode fam. péj.: les gens de justice

Pág. 60-61: Ambiance au bureau - Wall Street

Là-bas s'étendaient les territoires de l'hystérie collective et de la paranoïa ouverte. Même si l'agressivité frénétique n'avait aucune raison d'être, quelqu'un se débrouillait toujours pour fomenter une crise, ou désigner un ennemi supposé, afin de stimuler la combativité de l'équipe. Pág. 62: Ambiance Wall Street En fait, il adorait jouer ce rôle du marginal hébraïque aventuré dans la bande de Gaza professionnelle que constituaient Wall Street et ses goyim agressifs. Wikipédia: Le terme de goy ou goï (héb. גוי, nation) apparaît dans la Bible hébraïque afin de désigner une « nation » pourvue d'institutions, par opposition au « peuple » (héb. עם, 'am), qui qualifie plutôt un conglomérat de personnes. Correspondant à ce que les bibles chrétiennes expriment comme les Gentils (du latin Gentiles, les « Nations »), c'est-à-dire les peuples non-Juifs, il est le plus souvent utilisé entre eux par les Juifs pour désigner les membres des nations environnant Israël. Le sens du terme a évolué selon les époques, l'usage biblique du terme n'étant ainsi pas celui du Talmud, ou de la période contemporaine. Le mot goy (pluriel : des goys // dans la Génèse, pluriel: goyim) a été admis dans des dictionnaires français depuis (terme présent dans le dictionnaire encyclopédique Larousse de 1985, avec un sens parfois péjoratif)

Pág. 72: conception de la "sécurité"

Or, la sécurité, on finit toujours par s'en rendre compte, est aussi une manière de descente aux enfers.


Pág. 77: image de la femme insatisfaite

.... évoquer l'image de cette femme qui la hantait: "C'était quelqu'un qui était sous le coup d'une terrible, énorme déception, ma mère. Tu sais, à mon âge, elle était très, très lancée dans le monde. Directrice financière dans une des plus grosses boîtes de New York. Mais dès qu'elle s'est mariée avec mon père et qu'elle a été enceinte de moi, paf! Terminé. Direction Ossining, les réunions de parents d'élèves, les matinées entre femmes, le dîner servi quand l'homme rentre au foyer par le 7 h 6... Oh, c'était une maman géniale, mais qu'est-ce qu'elle pouvait détester cette existence étriquée, qu'elle avait acceptée cependant, comme presque toutes les femmes de sa génération! Je suis convaincue que son cancer a commencé en partie comme ça, par ce constat désespérant de n'être qu'une bobonne, la "petite femme" qui attend à la maison un type qu'elle en vient à ne plus pouvoir sentir..."

Pág. 83: vision de macho?
Elle renâcla un moment, par peur de se retrouver coincée à la maison, de se couper entièrement de la vie new-yorkaise, de subir un nouvel échec littéraire. Mais je ne relâchai pas ma pression, pleine de sollicitude et de fermeté à la fois. Pourquoi, me direz-vous? Peut-être parce que je désirais que l'un d'entre nous, au moins, soit vraiment un "artiste potentiel". Ou bien était-ce un bizarre trip macho, le plan du type très fier de subvenir aux besoins de sa femme écrivain? Ou encore une autre explication: j'avais besoin qu'elle reste à la maison et qu'elle se plante. Les ratés aiment bien entraîner les autres dans l'échec, en général.

Pág.88: l'image du nouveau riche
Je me suis pourtant demandé quelquefois si, par-devers lui, il ne me prenait pas pour un cravaté bourré aux as qui voulait frimer avec un matériel dont les plus grands noms de la photographie n'auraient pas voulu, eux, tant il faisait "nouveau riche".

Pág. 99-100: description de Mme Bowles, aux multiples facettes
C'était aussi le genre d'individus à changer complètement de personnalité tous les six mois: à la fin des années 80, elle avait été la Femme Active en Armani à épaulettes superrembourrées, puis elle avait eu sa phase grande cocotte Chanel lors d'un bref mariage avec un courtier en diamants chypriote à la moralité douteuse, puis elle s'était mise à jouer la mécène décontractée s'habillant au Gap et se passionnant pour d'obscures troupes théâtrales d'avant-garde, puis...

Pág. 112-113: projection par le père (Ben Bradford) de l'image de son fils aîné dans dix ans
En lui rendant ses regards, je me demandais comment Beth et moi avions réussi à donner vie à un gosse aussi beau, et si dans dix ans, lorsqu'il serait un adolescent ingrat et grassouillet, il ne nous reprocherait pas de lui avoir gâché la vie. Des images effrayantes ont traversé mon esprit: Adam en camé destroy, se fournissant en crack auprès du plus gros dealer du coin, s'embarquant dans la voiture d'un copain en compagnie de cinq potes également shootés. La bagnole fonçant dans la nuit, l'allumé au volant se ruant plein gaz sur la 95. L'aiguille du compteur à 140, le conducteur pique du nez sur le tableau de bord, le véhicule devenu fou percute la glissière centrale. Adam se met à hurler...

Pág. 113: réflexions de père, relations père-enfant
"Je ne devrais pas me faire de soucis pour lui", me suis-je corrigé en moi-même, mais sans résultat. Oui, j'avais peur pour lui, sans doute parce que j'avais peur pour moi, peur de cette vulnérabilité que je ressentais si souvent lorsque je me retrouvais seul avec Adam, cette angoisse sourde de "ne pas être à la hauteur" au cas où le pire arriverait, qui hante n'importe quel parent. De cela, personne ne vous met jamais en garde avant que vous n'ayez des enfants: la manière dont vous finissez par dépendre entièrement d'eux, dont ils vous font sentir toute votre fragilité. Et pourquoi? Parce que auparavant vous n'avez jamais voué à quiconque un amour aussi désintéressé, aussi inconditionnel.

Pág. 163: description des policiers
Le flic numéro un était un Noir, bâti en hercule, le numéro deux monté sur piles, filiforme, sa chevelure de rouquin parsemée de gris. En voyant son visage d'enfant de choeur vieillissant, ses yeux hallucinés de zélote puritain, j'ai toute de suite compris qu'il allait m'en faire voir de toutes les couleurs: le genre de poulet qui a bien failli terminer chez les Jésuites.

Zélote - Cf. Petit Robert: patriote juif du premier siècle après J.-C., qui joua un rôle très actif dans la révolte contre l'occupant romain]


Pág. 169: description des résidents de la prision
On m'a enfermé pour la nuit dans une cellule de un mètre sur trois, avec une couchette et un W-C en acier, rien d'autre. Mon avenir. À côté se trouvait un enfoiré sinoque qui a glapi toute la nuit comme un coyote timbré. En face, un avorton atteint d'une telle chiasse qu'il a passé son temps à se traîner à la selle et à gémir de douleur pendant que son appareil gastrique se déchaînait. Au milieu de ce tonnerre de flatulences, des gémissements d'un autre acabit me parvenaient d'une cellule plus loin, ceux d'un zonard tatoué en train de se masturber bruyamment, le genre de grognements déchirants que l'on aurait attribué à un constipé en phase terminale.

Sinoque - Cf. Petit Robert: ou Cinoque > fam. et vieilli: fou, folle


Pág. 246: Ben Bradford, en proie à la culpabilité et à l'angoisse

J'ai traîné un moment sur la plage, respirant à pleins poumons l'air iodé, les yeux fixés sur le désert marin, à nouveau écrasé par un sentiment de culpabilité qui, je le savais, ne me quitterait plus jamais. On dit que la peur est la plus fidèle compagne de tout être conscient, pas vrai? La vie, c'est avancer d'un pas hésitant, sans cesse torturé par une idée obsédante: "Aujourd'hui, tout va être découvert."

Pág. 292: la liberté ou la peur?
Mon passé venait de voler en éclats, de disparaître à jamais. Plus de responsabilités, plus de pressions, plus de liens quelconques, plus d'"avant". C'était comme si je flottais dans le vide. Question: lorsqu'on efface entièrement l'ardoise, qu'est-ce qu'on obtient? Réponse: l'ardoise, sans rien dessus. Autre réponse: la liberté. L'existence, délivrée de tout, dont j'avais si souvent rêvé. Mais devant cette chance -cette ardoise silencieuse- je n'éprouvais que de la peur. Et pourquoi? Parce qu'une liberté aussi absolue procurait le même effet que de regarder dans l'espace intersidéral, de faire face à une immensité dont on ne devine même pas la structure.


Pág. 313: sobre la "californication" galopante

Bozeman, où je viens de passer le dernier week-end, a rejoint Kalispell, Bigfork et jusqu'à notre cher Mountain Falls dans la catégorie sans cesse grandissante des cités du Montana ravagées par ce terrible virus que certains nomment la "californication" galopante.


Pág. 341: à quoi reconnaît-on les gens du Montana?

-Et vous, combien de fois on vous a traîné chez les vampires de la pension alimentaire?

-Zéro fois. Jamais été marié.

-Alors vous z'êtes pas d'ici, c'est clair! Vous savez comment on peut savoir qu'un type est un pur produit du Montana?" J'ai fait non de la tête. "Eh bien, vous lui demandez à combien d'accidents de voiture et de mariages foirés il a survécu. S'il répond plus que deux, c'est un indigène cent pour cent."

Pág. 362-363: une bonne leçon d'économie de marché

... Mais comme vous le savez sans doute, quand on diversifie, il y a toujours des risques structurels qui doivent être couverts par des liquidités importantes. Alors moi je me dis: Pourquoi est-ce que je devrais mettre en danger mon capital propre?" J'ai opiné du bonnet, tout en me demandant si elle n'était pas elle aussi passée par la fac de droit commercial. "Je veux dire qu'on est dans les années 90, là. Small is beautiful. Vous avez une idée, vous la réalisez, vous la développez dans des proportions dont vous maîtrisez la synergie, ou bien vous voyez trop gros et vous bousillez la pureté originelle. Mais attention, cela ne veut pas dire que vous dédaignez les potentialités du marché.

Pág. 385: Citation de Sonny Liston
"L'expérience est le mot par lequel les hommes désignent leurs erreurs."


Pág. 399: le CALME du Montana
Le silence était si prenant que nous avancions sans un mot, et je me suis dit que si le Montana me plaisait tant, c'était, plus encore que pour ses routes solitaires et ses cieux grandioses, parce que les gens de ce pays savaient respecter le calme. Il y avait une phrase de Pascal là-dessus, lorsqu'il affirme que tous les malheurs de l'homme viennent de ce qu'il est incapable de rester assis tout seul dans une pièce, sans s'agiter... D'instinct, le Montana avait compris ce secret et faisait de son mieux pour se tenir loin du vain tintamarre qui régnait partout ailleurs. Ici, le calme était reconnu comme une vertu, une nécessité.

Pág. 420: différence entre journalistes et photographes
En le voyant travailler, j'ai mieux saisi ce qui différencie fondamentalement la démarche des journalistes de celle des photographes: les premiers opèrent comme des prédateurs, ils fourragent et ratissent un événement à la recherche de détails qui, une fois ordonnés, pourront donner l'atmosphère de la scène, la "vue générale"; les seconds, eux, sont sans cesse à l'affût de l'image forte, de la photo capable de résumer toute l'histoire. Pour un reporter de la presse écrite -un bon, s'entend-, un équilibre subtil doit cependant être trouvé: son art est de tirer un récit captivant d'une série d'observations fragmentaires sans lesquelles son papier paraîtra froid, quelconque; mais s'il ne sait pas y ajouter un vrai recul, une force de synthèse, il laissera au lecteur la désagréable impression qu'il n'a pas su appréhender l'événement lui-même dans toute sa dimension, dans tout ce qu'il implique au-delà des faits bruts.


Expressions utiles:

Elle arrivait toujours aussi superfringuée en cours

Faire bruyamment craquer ses jointures

Beth, elle, n'était pas mécontente d'être à tu et à toi avec une (très relative) célébrité telle que Wendy... Wikipédia: être très proche de quelqu'un, très ami de cette personne

... tous trois récits lyriques... affligés d'une mère à l'article de la mort

... votre toute jeune publication n'ait pas encore des reins financiers aussi solides que les magazines.

Il a eu un rire cacochyme. Cf. Petit Robert - Vx ou plaisant.: d'une constitution débile, d'une santé déficiente; maladif, valétudinaire: dont la santé précaire est souvent altérée]

... dix jours consécutifs de neige tenace, qui m'ont consigné dans mon casernement résidentiel et ont fini par me flanquer une crise de claustrophobie aiguë.

... ils se repassaient une fiasque de whisky en taillant le bout de gras à propos d'une nouvelle cotation en Bourse et d'autres sujets tout aussi bucoliques. Cf. Petit Robert - Discuter le bout de gras ou tailler une bavette = converser de choses et d'autres

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