miércoles, 24 de noviembre de 2010

Victor Hugo, Les Misérables

Victor Hugo, Les Misérables, Bookking International (éd. poche), Paris, 1996.

Les Misérables (1862) est le chef-d'oeuvre de Victor Hugo (1802-1885). Il mit quinze ans à écrire ce roman colossal, cette épopée du peuple de Paris, à la fois réquisitoire social, message d'humanisme, et formidable galerie de portraits. Toute la littérature populaire s'en est trouvée marquée. Jean Valjean, Cosette, Thénardier, Gavroche, Javert appartiennent à la légende universelle et ont fasciné des millions de lecteurs. "Les Misérables sont un vrai poème", disait Rimbaud. Les meilleurs réalisateurs ont tenté d'adapter à l'écran ce monument de la littérature française.

TOME 1



PREMIÈRE PARTIE: FANTINE

Page 109: de la différence entre braconniers, contrebandiers, brigands et assassins
Il y a contre les braconniers un préjugé légitime. Le braconnier, de même que le contrebandier, côtoie de fort près le brigand. Pourtant, disons-le en passant, il y a encore un abîme entre ces races d'hommes et le hideux assassin des villes. Le braconnier vit dans la forêt: le contrebandier vit dans la montagne ou sur la mer. Les villes font des hommes féroces, parce qu'elles font des hommes corrompus. La montagne, la mer, la forêt, font des hommes sauvages. Elles développent le côté farouche, mais souvent sans détruire le côté humain.

Page 263: une belle comparaison entre la marée et le remords
On n'empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s'appelle la marée; pour le coupable, cela s'appelle le remords. Dieu soulève l'âme comme l'océan.


DEUXIÈME PARTIE: COSETTE

Page 494: sur la pensée
Il sentait là une préméditation d'en haut, une volonté de quelqu'un qui n'est pas l'homme, et il se perdait dans la rêverie. Les bonnes pensées ont leurs abîmes comme les mauvaises.


TOME 2

DEUXIÈME PARTIE: COSETTE

Page 40: la coutume des quatre vins ou les quatre degrés d'ivresse
C'était un siècle qui parlait, mais c'était le dix-huitième siècle. Elle [la centenaire] contait la coutume champenoise et bourguignonne des quatre vins. Avant la révolution, quand un grand personnage, un maréchal de France, un prince, un dur et pair, traversait une ville de Bourgogne ou de Champagne, le corps de ville venait le haranguer et lui présentait quatre gondoles d'argent dans lesquelles on avait versé de quatre vins différents. Sur le premier gobelet, on lisait cette inscription: vin de singe, sur le deuxième: vin de lion, sur le troisième: vin de mouton, sur le quatrième: vin de cochon. Ces quatre légendes exprimaient les quatre degrés que descend l'ivrogne: la première ivresse, celle qui égaye; la deuxième, celle qui irrite; la troisième, celle qui hébète; la dernière enfin, celle qui abrutit.

Page 44: sur l'idée religieuse
Au dix-neuvième siècle, l'idée religieuse subit une crise. On désapprend de certaines choses, et l'on fait bien, pourvu qu'en désapprouvant ceci, on apprenne cela. Pas de vide dans le coeur humain. De certaines démolitions se font, et il est bon qu'elles se fassent, mais à la condition d'être suivies de reconstructions.


TROISIÈME PARTIE: MARIUS


Page 239: le pauvre et le riche

La pauvreté dans la jeunesse, quand elle réussit, a cela de magnifique qu'elle tourne toute la volonté vers l'effort et toute l'âme vers l'aspiration. La pauvreté met tout de suite la vie matérielle à nu et la fait hideuse; de là d'inexprimables élans vers la vie idéale.
Le jeune homme riche a cent distractions brillantes et grossières, les courses de chevaux, la chasse, les chiens, le tabac, le jeu, les bons repas, et le reste; occupations des bas côtés de l'âmeaux dépens des côtés hauts et délicats. Le jeune homme pauvre se donne de la peine pour avoir son pain; il mange, quand il a mangé, il n'a plus que la rêverie. Il va aux spectacles gratis que Dieu donne; il regarde le ciel, l'espace, les astres, les fleurs, les enfants, l'humanité dans laquelle il souffre, la création dans laquelle il rayonne. Il regarde tant l'humanité qu'il voit l'âme, il regarde tant la création qu'il voit Dieu. Il rêve, et il se sent grand; il rêve encore, et il se sent tendre. De l'égoïsme de l'homme qui souffre, il passe à la compassion de l'homme qui médite. Un admirable sentiment éclôt en lui, l'oubli de soi et la pitié pour tous. En songeant aux jouissances sans nombre que la nature offre, donne et prodigue aux âmes ouvertes et refuse aux âmes fermées, il en vient à perdre, lui millionnaire de l'intelligence, les millionnaires de l'argent. Toute haine s'en va de son coeur à mesure que toute clarté entre dans son esprit. D'ailleurs est-il malheureux? Non. La misère d'un jeune homme n'est jamais misérable. Le premier jeune garçon venu, si pauvre qu'il soit, avec sa santé, sa force, sa marche vive, ses yeux brillants, son sang qui circule chaudement, ses cheveux noirs, ses joues fraîches, ses lèvres roses, ses dents blanches, son souffle pur, fera toujours envie à un vieil empereur.

QUATRIÈME PARTIE: L'IDYLLE RUE PLUMET ET L'ÉPOPÉE RUE SAINT-DENIS

Page 436: belle comparaison entre la pensée et la rêverie
La pensée est le labeur de l'intelligence, la rêverie en est la volupté. Remplacer la pensée par la rêverie, c'est confondre un poison avec une nourriture.

TOME 3

Pages 12-13: belle réflexion et description de l'argot
Maintenant, depuis quand l'horreur exclut-elle l'étude? depuis quand la maladie classe-t-elle le médecin? ... Le penseur qui se détournerait de l'argot ressemblerait à un chirurgien qui se détournerait d'un ulcère ou d'une verrue. Ce serait un philologue hésitant à examiner un fait de la langue, un philosophe hésitant à scruter un fait de l'humanité. Car, il faut bien le dire à ceux qui l'ignorent, l'argot est tout ensemble un phénomène littéraire et un résultat social. Qu'est-ce que l'argot proprement dit? L'argot est la langue de la misère.

Pages 19-20: l'argot
L'argot, qu'on y consente ou non, a sa syntaxe et sa poésie.

Au point de vue purement littéraire, peu d'études seraient plus curieuses et plus fécondes que celle de l'argot. C'est toute une langue dans la langue, une sorte d'excroissance maladive, une greffe malsaine qui a produit une végétation, un parasite qui a ses racines dans le vieux tronc gaulois et dont le feuillage sinistre rampe sur tout un côté de la langue. Ceci est ce qu'on pourrait appeler le premier aspect, l'aspect vulgaire de l'argot. Mais, pour ceux qui étudient la langue ainsi qu'il faut l'étudier, c'est-à-dire comme les géologues étudient la terre, l'argot apparaît comme une véritable alluvion. Selon qu'on y creuse plus ou moins avant, on trouve dans l'argot au-dessous du vieux français populaire, le provençal, l'espagnol, de l'italien, du levantin, cette langue des ports de la Méditerranée, de l'anglais et de l'allemand, du roman dans ses trois variétés: roman français, roman italien, roman roman, du latin, enfin du basque et du celte. Formation profonde et bizarre. Édifice souterrain bâti en commun par tous les misérables. Chaque race maudite a déposé sa couche, chaque souffrance a laissé tomber sa pierre, chaque coeur a donné son caillou. Une foule d'âmes mauvaises, basses ou irritées, qui ont traversé la vie et sont allées s'évanouir dans l'éternité, sont là presque entières et en quelque sorte visibles encore sous la forme d'un mot monstrueux.

Page 21: l'argot
... l'argot a d'autres racines plus naturelles encore et qui sortent pour ainsi dire de l'esprit même de l'homme:

Premièrement, la création directe des mots. .... Deuxièmement, la métaphore. ... Dévisser le coco, tordre le cou; -tortiller, manger; -être gerbé, être jugé; -un rat, un voleur de pain; -il lansquine, il pleut; ... Troisièmement, l'expédient. L'argot vit sur la langue. Il en use à sa fantaisie, il y puise au hasard, et il se borne souvent, quand le besoin surgit, à le dénaturer sommairement et grossièrement.

Page 26: l'argot
L'argot, c'est le verbe devenu forçat
.

Page 27: description du misérable
Le misérable, toutes les fois qu'il a le temps de penser, se fait petit devant la loi et chétif devant la société; il se couche à plat ventre, il supplie, il se tourne du côté de la pitié; on sent qu'il se sait dans son tort.

Page 29: les jacqueries
... ces effrayantes commotions qu'on nommait jadis jacqueries, près desquelles les agitations purement politiques sont jeux d'enfants, qui ne sont plus la lutte de l'opprimé contre l'oppresseur, mais la révolte du malaise contre le bien-être. Tout s'écroule alors.

Les jacqueries sont des tremblements de peuple.

Page 32: nourriture du corps et de l'âme
... la vérité est nourriture comme le froment. Une raison, à jeun de science et de sagesse, maigrit. ... S'il y a quelque chose de plus poignant qu'un corps agonisant faute de pain, c'est une âme qui meurt de la faim de la lumière.

Page 171: du despotisme et de l'invasion
Le despotisme viole la frontière morale comme l'invasion viole la frontière géographique.


CINQUIÈME PARTIE: JEAN VALJEAN

Page 217:
Les gueux attaquent le droit commun; l'ochlocratie s'insurge contre le démos.

[J'ai cherché la signification de ces deux termes:
-ochlocratie (de okhlos, populace, et cratos, pouvoir) = gouvernement du bas peuple. C'est une corruption du gouvernement démocratique: une vile multitude substitue ses caprices et ses fureurs au règne des lois, et ce n'est plus la population intelligente et morale qui exerce le pouvoir. L'ochlocratie perdit la république d'Athènes et rendit possible en France le règne de la Terreur. On peut aussi songer à faire de l'accession au pouvoir du régime hitlérien en Allemagne par voie électorale, en 1933, un effet de l'ochlocratie. Selon www.cosmovisions.com
-démos: du latin, peuple]

Page 254: de la couleur de la rose
Un conte d'orient dit que la rose avait été faite par Dieu blanche, mais qu'Adam l'ayant regardée au moment où elle s'entr'ouvrait, elle eut honte et devint rose.